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Memoires a quatre mains

6 février 2007

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13 janvier 2007

Faire part de naissance des jumelles FORTIER

Casablanca le 20 octobre 1926...

   Madame et Monsieur le Capitaine Fortier

   sont heureux de vous faire part de la naissance

  de leurs filles Jeanine et Yvonne...

Quelques décennies plus tard Jeanine et Yvonne souhaitent mettre sur papier les souvenirs de leur enfance et de leur adolescence, pour faire partager leurs bons moments du passé à leurs enfants et petits enfants.

Suivons les tout au long du chemin qui les mena du Maroc à l’Afrique Noire et de

la France

à Madagascar au sein d’une famille privilégiée de l’époque qui leur a permis de vivre intensément cette complicité gémellaire irremplaçable.

13 janvier 2007

La famille Fortier

Marc Fortier est né en normandie en 1890.

Issu d’une famille de quatre enfants, trois garçons et une fille, il se destinait à une carrière d’ingénieur en électricité qu’il ne put mener à bien en raison du début de la première guerre mondiale.

Monsieur Fortier père, Alexandre de son prénom, quant à lui, dirige une fabrique de peignes en Normandie, dans la petite ville de Ezy sur Eure.

A l’époque les peignes sont fabriqués en corne, en écaille ou en carapace de tortue et la fabrique est florissante.

Il est donc tout à fait en mesure d’assurer l’entretien de son fils Marc, qui, installé à Paris reçoit donc une rente mensuelle de 80 francs/or, ce qui est une fortune pour l’époque.

Marc Fortier pourrait donc mener à bien ses études, mais le destin en a décidé autrement car la guerre de 1914 éclate.

Marc Fortier se retrouve donc mobilisé et affecté à un poste à Paris pendant toute la durée du conflit.

A la fin de celui-ci, et sur le conseil de ses supérieurs qui lui trouvent des dispositions particulières, il prépare le concours d’entrée à l’école militaire de Saint Cyr qu’il réussit.

Le voici donc devenu militaire, et il en fera sa carrière

C’est ce nouveau statut qui le mènera avec sa famille aux quatres coins des colonies françaises de l’époque.

Marc Fortier contractera  mariage avec Germaine Marin le 24 janvier 1914 et de leur union naîtra la même année, un fils répondant au nom d’Albert.

Les jumelles,Yvonne et Jeanine qui verront le jour en 1926 auront donc douze ans d’écart  avec leur frère.

Le 5 novembre 1914,

la France

et l’Angleterre qui s’étaient alliées pour ce conflit, déclarent la guerre à

la Turquie

et notre pays envoie donc des contingents sur place.

Marc Fortier, après avoir terminé Saint Cyr se trouve donc envoyé en poste en Turquie juste après, au début des années 1920.

Yvonne et Jeanine ont peu d’informations sur cette période de la vie de leurs parents. Elles savent néanmoins que leur maman, parisienne de naissance, est restée en France avec son petit garçon pendant la première mission de son époux.

Marc Fortier reviendra en France entre 1922 et 1924 et repartira vers une nouvelle mission, pacifiste celle-ci, au Maroc où il s’installera avec sa petite famille, à Casablanca précisément.

Yvonne et Jeanine voient donc le jour le 26 octobre 1926 dans cette ville mais Marc Fortier qui est en mission dans le désert l’apprend deux semaines plus tard, de la bouche d’une ordonnance militaire qui lui annonce qu’il a eu deux petits garçons: Yves et Jean !

Il faudra donc qu’il rejoigne Casablanca pour s’apercevoir que son épouse a en fait mis au monde des jumelles, répondant aux noms de Yvonne et Jeanine, et qu’elle se dit même incapable de les distinguer... ce qui est bien normal à cette époque dans le cas d’une naissance multiple.

Marc Fortier fera donc immédiatement fabriquer deux petits bracelets avec plaques d’identité pour déterminer une fois pour toutes qui est qui.

Les jumelles sont donc identifiables... et nous voici donc avec une Jeanine et une Yvonne qui ne changeront plus de prénom au gré des aptitudes à les reconnaître.

La famille Fortier séjournera encore quelques mois à Casablanca avant de rejoindre une nouvelle affectation, toujours au Maroc mais à Agadir cette fois,  pour deux années.

On est en 1928.

Les filles ont déjà 5 ans lorsque la famille Fortier revient en France avec “armes et bagages” si on peut dire.

On est en 1931 et le point de chute de ce séjour de deux années est la ville de Rochefort.

Yvonne et Jeanine, malgré leur jeune âge, gardent un souvenir assez précis de leur séjour dans cet endroit qui d’ailleurs coïncide avec la première période de leur scolarisation, laquelle fut singulière tout au long de leur enfance.

Jeanine nous raconte:

-          Nous avions pris l’habitude de vivre dehors et nous étions déjà très libres au Maroc. Nos parents ne nous cherchaient jamais et chaque soir avec Yvonne nous attendions l’heure de la soupe des soldats dans la cour de la garnison d’Agadir.

-          Nous devions être comme deux petits animaux... dit elle en riant, car à l’heure précise nous venions nous asseoir par terre au milieu des militaires qui recevaient de grandes gamelles de potage, de bouillon, de riz, de semoule qui aiguisaient notre appétit. Notre horloge interne fonctionnait bien car nous ne manquions jamais l’heure et les soldats s’en amusaient. Ils nous donnaient à manger, tout simplement, comme on donne des miettes aux petits oiseaux.

-          La nourriture était très épicée, se souvient Yvonne, et je crois que c’est de cette période que nous est restée l’attirance pour les plats très relevés.

     Nous n’aurions manqué le dîner des soldats pour rien au monde... c’était

     un moment bien à nous !

-          Evidemment pour nous la vie en France était beaucoup moins drôle... Imaginez un peu: deux enfants toute la journée dehors dans un pays de soleil et de liberté qui se retrouvent enfermées dans un appartement.

-          Notre obsession était de jouer dehors et nous n’avions pas du tout la notion de la rue, tout nous semblait normal et notre terrain de jeux n’avait pas les limites que les passants qui nous regardaient avec incrédulité auraient souhaité nous voir respecter. Nous avions des jeux d’enfants de notre âge bien sûr mais toujours avec une extrême indépendance et l’assurance que nous conférait le fait d’être deux.

     Avec le recul, je me dis que les gens du cru devaient bien se demander   

     d’où sortaient ces deux petites sauvages, souligne t’elle en riant !

Albert le grand frère, quant à lui, est à l’école militaire de

La Flèche

où il est bien décidé à embrasser la carrière militaire comme son père.

Les jumelles le connaîtront donc relativement peu puisque entre les différents séjours à l’étranger de la famille et les engagements militaires d’Albert, rares sont les occasions de partager des moments de vie de famille.

Une des seules photos des trois enfants ensemble a été réalisée à Rochefort et on la situe aux environs de 1932.

Les jumelles, petites robes blanches brodées et chaussures vernies ont un sourire qui en dit long sur leur malice et sur la complicité qui les lie déjà !

Complicité qu’elles auront la chance de partager tout au long de leur vie et qui en fait un des charmes particuliers d’une rencontre avec elles, en ce début de vingt et unième siècle.

13 janvier 2007

1933 – Départ vers l’Afrique – Installation à Tombouctou

Nous voici maintenant en 1933... début de belles aventures pour nos jumelles qui ont tout juste 7 ans.

Le Capitaine Fortier est nommé au poste de Commandant d’Armes des forces en place à Tombouctou, au Mali, à cette époque nommé “Soudan Français”.

Si toute l’enfance d’Yvonne et de Jeanine les a marquées, on peut dire que  la période la plus forte est sûrement ce séjour à Tombouctou.

La traversée en bateau vers l’Afrique, la remontée du fleuve Niger en pirogue, l’installation dans le fort militaire de Tombouctou, la vie sur place, les “jouets” vivants, tout cela a laissé une trace indélébile dans la mémoire intacte des jumelles et elles racontent les anecdotes et le quotidien de leur vie avec une précision assez incroyable malgré leur jeune âge à cette époque.

Voyons cela en détails dans les pages qui suivent et pour mieux situer ce moment de vie, découvrons également ce qu’est le Mali, sa situation géographique et son histoire de colonie française en tant que Soudan français.

13 janvier 2007

Le Mali et TOMBOUCTOU

Quelques informations d’ordre général sur cette ancienne colonie française.

Sa capitale est Bamako. Le pays est traversé par le fleuve Niger, long de 4200 km qui arrose Bamako, Tombouctou et Niamey.

La superficie totale du Mali est de 1 254 000 km2 et sa population en 2001 était  estimée à 11 millions d’habitants.

Le Mali a des frontières communes avec la Mauritanie et l'Algérie au nord, avec le Niger à l'est, avec le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire au sud, avec la Guinée au sud-ouest et avec le Sénégal à l'ouest.

Le point le plus haut est le Hombori Tondo (1155 m) situé dans la partie centrale du pays.

Le nord et le centre du Mali font partie du Sahara  et la ressource principale en est l’élevage, principalement caprin et ovin.

Le sud par contre fournit du mil du sorgho, du riz du conton et de l’arachide.

Ce territoire ancien, de confession islamique, s’est vu partagé par trois ethnies principales: les peuls, les toucouleurs et les malikés.

Les français s’installèrent progressivement au Mali dans la deuxième partie du dix neuvième siècle avant d’annexer officiellement le pays comme colonie en 1894.

La langue officielle au Mali est encore aujourd’hui le français.

En 1958 est proclamée la “République du Soudan”. C’est l’indépendance, la France perd sa colonie.

En 1959, le Soudan forme la “Fédération du Mali” avec le Sénégal, laquelle éclatera l’année suivante et le Soudan Français deviendra ainsi “République du Mali” cette année-là, sous la direction de Modibo Keita.

La République du Mali est un état souverain de l’Afrique occidentale qui s’étend sur le territoire de ce qui fut “le Soudan Français” de 1894 à 1958.

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13 janvier 2007

Séjour à Tombouctou – 1933 à 1935

En 1933, donc, la famille Fortier refait malles et cantines pour repartir aux colonies. Cette fois-ci c’est avec le grade de Commandant d’Armes que Marc Fortier est affecté à Tombouctou, au coeur de l’Afrique de l’Ouest.

Après deux années de vie à Rochefort et le début d’une scolarité sans souci à l’école primaire laïque, Yvonne et Jeanine partent donc vers de nouvelles aventures à une époque où les déplacements n’étaient en rien comparables à ceux que nous connaissons de nos jours.

L’embarquement se fait donc sur un paquebot de ligne qui relie Bordeaux à Dakar.

Signe des temps, un officier de l’armée française a droit à tous les honneurs dus à son rang et les cabines qui sont attribuées à la famille sont tout ce qu’il y a de plus confortable pour la période.

Les petites sont gâtées...

Les deux enfants sont, étonnament pour l’époque, toujours très libres et se promenent toute la journée des coursives aux cabines, des ponts aux salons, des cuisines aux salles à manger sans que leurs parents se soucient le moins du monde d’un peu de discipline.

Ce qui ressort clairement des récits d’Yvonne et de Jeanine d’ailleurs, est cette sensation d’extrême liberté et d’indépendance tout au long de leur enfance.

Elles en ont d’ailleurs certainement tiré cette espèce de jovialité et de bonne humeur que seuls les êtres bien construits sont capables de garder toute leur vie, malgré les épreuves qu’il faut affronter au fil du temps.

La traversée dura 15 jours avant le débarquement à Dakar où une voiture militaire attendait la famille pour la conduire à Bamako.

Le transfert sur Tombouctou s’effectua quelques jours après, en pirogue sur le fleuve Niger.

C’était pour Yvonne et Jeanine la grande aventure qui commençait !

La pirogue destinée à tranporter la famille Fortier était fort bien aménagée et des pièces de tissus tendues avaient permis d’organiser le lieu de vie en deux pièces séparées, transformant un peu l’embarcation en une espèce de domicile flottant dans lequel le Commandant, son épouse et les fillettes s’accomodèrent à  vivre avec les boys qu’on avait désignés pour les servir.

Aujourd’hui encore, dans les anciennes colonies on appelle les africains au service des blancs des “boys” sans qu’il y soit vu la moindre connotation désobligeante.

C’est le terme usuel qui est couramment employé et il l’est aussi par des africains ayant à leur service domestique d’autres africains.

Dans le cas présent, les africains au service du Commandant Fortier sur la pirogue étaient appelés des laptos.

Les laptos étaient chargés de faire avancer la pirogue et d’assurer intendance et sécurite pour la famille.

Yvonne se souvient clairement:

-          “ Les laptos étaient au nombre de 12, répartis de chaque côté de la pirogue et ils la faisaient avancer dans la même posture qu’auraient prise des bâteliers de

la Volga.

     Nous nous arrêtions tous les soirs et les laptos nous installaient sur la berge après avoir chassé éventuellement les animaux indésirables. Chaque nuit donc nous avions notre vrai campement de brousse. Les laptos allumaient de grands feux sur lesquels ils faisaient rôtir les  canards que notre père avait chassés.

L’ambiance était un peu magique et pour Jeanine et moi l’imaginaire allait           bon train. Pensez donc... deux fillettes françaises de 7 ans en plein coeur           de l’Afrique en 1933... c’était tout simplement une découverte merveilleuse !

Jeanine souligne:

-         On nous avait appris à suivre les traces de caïman pour repérer les endroits où ils pondaient et nous allions chercher les oeufs, ma soeur et moi.

Avec ces oeufs de caïman on nous préparait de délicieuses omelettes.

Nous étions jeunes et sans crainte. La notion de peur ne nous a jamais   effleurée, ni l’une ni l’autre et c’est probablement du au fait que nous étions deux. Yvonne était un peu plus garçon manqué que moi et je la suivais aisément, sans jamais douter du bien fondé de ses idées !

Yvonne:

-          S’il y a une personne qui a du souffrir de cette période, c’est notre maman. Nous étions trop jeunes pour nous rendre compte de l’ensemble des choses et en plus, dans ces années là, les enfants n’avaient pas accès aux conversations ou à la réflexion des adultes. Cependant, nous savions que maman avait peur de la brousse et que ce changement de vie de France vers l’Afrique ne l’enthousiasmait pas.

          Nous avons découvert quelques années plus tard, hélas, qu’elle était déjà            atteinte de la maladie qui l’emporta. Avec le recul, on peut dire qu’elle a fait preuve d’un courage exemplaire.

-          La durée de la remontée du fleuve Niger fut de 21 jours. Tout au long du parcours nous voyions des femmes africaines laver leur linge dans l’eau du fleuve, de petits enfants prendre des bains et partout, bien sûr, cette nature de brousse à profusion qui était envahissante et quelque peu mystérieuse. Chaque soir, après le feu de bois et les grillades ou les omelettes aux oeufs de caïman on nous installait des chaises longues sur la pirogue, et nous dormions à la belle étoile, protégées par des moustiquaires, tout comme nos parents.

     Les laptos, eux dormaient à terre et assuraient notre sécurité, raconte encore   

     Yvonne.

Jeanine, quant à elle, se souvient que son père devait retrouver un de ses amis à Kabara, village dans lequel s’arrêtera la remontée du Niger en pirogue.

De là, le transfert vers Tombouctou se fait en voiture militaire sur des pistes de sable peu confortables pour les voyageurs, surtout par une chaleur absolument écrasante.

Et voici enfin Tombouctou et son fort militaire dans lequel la famille Fortier s’installe pour une période qui durera deux ans.

-         Nous sommes arrivés dans une grande résidence, raconte Yvonne en tournant les feuilles de l’album de photos. Voici Tombouctou et sa splendeur de l’époque, montre t’elle du doigt. Cette maison était dotée de quatre grandes pièces qui donnaient chacune sur des vérandas, ce qui permettait de faire circuler l’air. N’oublions pas que le climat du Mali est très chaud, puisque dans la journée il n’est pas rare de voir le thermomètre marquer 40º. Heureusement les nuits étaient un peu plus fraîches.

     Nous mêmes, à notre âge, n’étions pas vraiment affectées par la chaleur,

     à part le fait qu’on exigeait de nous le port du casque colonial.

Une fois l’installation terminée, les deux fillettes sont inscrites à l’école communale de Tombouctou, école tenue par un père missionnaire français.

Loin de ce qu’elles avaient connu à Rochefort, Yvonne et Jeanine s’acclimatent très vite à leur nouvelle ambiance, plus que spartiate !

Assis par terre, les élèves disposent en tout et pour tout d’une ardoise et d’un morceau de craie pour recevoir tous les enseignements que leur prodigue leur nouvel instituteur.

Les jumelles sont les deux seuls enfants blancs et blonds de l’école et cette différence est loin de les préoccuper.

Les africains, quant à eux, intègrent parfaitement ces deux petites filles à la ressemblance tellement frappante qu’elles en jouent souvent en se faisant passer l’une pour l’autre.

Comme le souligne Yvonne, les africains qui sont des gens extrêmement gentils ont toujours fait preuve de la plus grande douceur à leur égard, même si quelque part ils devaient s’étonner tout de même de cette gemellité peu courante à l’époque.

Yvonne et Jeanine gardent des souvenirs à la fois très précis et très agréables de l’instruction prodiguée par le père missionnaire.

Jeanine commente ses souvenirs:

-          Avec le temps j’ai réalisé que ce père missionnaire nous avait appris une foule de choses malgré des moyens très limités. Je me souviens d’une carte de France sur laquelle il nous montrait oú se trouvaient les villes et notamment Paris. Dans nos jeunes esprits qui n’avaient pas encore assimilé le fait que les continents étaient différents, l’amalgame se faisait en regardant le ciel étoilé une fois la nuit tombée. Yvonne et moi nous nous allongions sur le sable et nous inventions un monde de découverte de voyage. En regardant les étoiles, l’une d’entre nous s’exclamait “regarde... Paris est là !”

          Le père missionnaire nous enseignait également des chansons enfantines   

          et une d’entre elles ne nous a jamais quittées.

          C’est la chanson  “le coq chante”

          et voici Jeanine et Yvonne d’entonner la contine de leur enfance:

“ Le coq chante, le jour se lève, tout s’éveille dans le village.

Pour que le bon couscous soit prêt... femme debout aies du courage

Pilon pom pom, pilon pom pom, pilon pom pom....”

Jeanine continue:

-          “Il nous a très bien appris à lire, à écrire et à compter et c’est un personnage dont nous avons gardé un souvenir intact tout au long de notre vie. Notre père l’appréciait beaucoup et l’invitait souvent à dîner mais nous n’avions pas le droit de participer aux repas des adultes.

Nous étions d’ailleurs rapidement nourries: on nous préparait un gros gâteau de couscous qu’on nous donnait dans une assiette et que nous mangions toutes les deux, seules sous la véranda principale de la résidence, assises par terre bien évidemment. Personne ne s’occupait vraiment de nous et nous étions bien tranquilles car jamais ennuyées par les soucis liés à la tenue à table ou l’éducation rigide de ce temps-là. La seule chose que nous n’aimions pas manger c’était le foie de gazelle.   

Notre père chassait beaucoup et nous ramenait presque tous les jours du   foie de gazelle et nous l’avons vraiment pris en grippe !

Ne nous servez jamais de foie...

Nous n’en avons plus jamais mangé une fois de retour en Europe.

En plus, pour le conserver il était roulé dans du sel, ce qui lui donnait un goût encore plus fort ...

-          J’en ai encore  l’odeur en souvenir, précise Jeanine.

    C’était quand même une des rares obligations que nous avions car la

     discipline pour les enfants n’était pas le propre de nos parents. Par contre,

    et comme cela se faisait à cette époque, on ne mélangeait pas les enfants à

    la vie des adultes.

-          Ca nous allait fort bien... souligne Yvonne en riant !

     Nous avions une indépendance totale, malgré notre jeune âge et nous

     pouvions aller là où bon nous semblait sans que jamais personne ne

     s’inquiète de ce que nous pouvions faire.

-   Nous non plus, nous ne nous inquiétions pas !... s’exclame Jeanine

-   Un jour, nous avons fait un exploit que, fort heureusement, notre père n’a

     jamais appris, reprend Yvonne.

Nous sommes montées tout en haut du minaret de la grande mosquée de Tombouctou !

La vue y était splendide mais j’aime mieux ne pas penser à ce qui serait arrivé si on nous avait trouvées là-haut.

-          La seule chose que notre père avait vraiment à coeur c’était de nous faire prendre chaque jour notre pastille de quinine pour éviter que nous n’ayons le paludisme, continue Yvonne. Mais comme la quinine est très amère, il avait trouvé une astuce: il faisait fabriquer de petites tablettes de chocolat dans lesquelles était cachée la quinine. Et, même si c’était un peu amer en arrière goût, on les avalait sans la moindre hésitation.

Puis un jour... rupture de stock ! Il n’y a plus de bonbons “choco-quinine”. Notre père nous explique qu’il va falloir que nous fassions un effort car ce médicament est vraiment très important.

Pas facile d’avaler un cachet comme ça... et il nous vient (une fois de plus) une brillante idée: nous allons dans la cuisine pour nous entraîner en avalant tout ronds des... petits pois !

Nous nous sommes bien appliquées toutes les deux à déglutir d’un coup les petits pois et voilà que la quinine pouvait passer... rien ne nous échappait, vraiment !

Yvonne continue:

-          Pour vous dire aussi que nos parents ne nous grondaient jamais, je vais vous raconter une autre anecdocte pour laquelle bien des enfants auraient été sévèremment punis !

Un jour un officier français est arrivé à Tombouctou avec son épouse et sa   

petite fille qui avait à peu près notre âge.

Jeanine et moi nous étions comme d’habitude en petite culotte, pieds nus, à vivre aussi à l’aise que les enfants du cru alors que la petite fille française portait une magnifique robe blanche en organdi, avec force rubans et dentelles.

Nous n’avions jamais vu une chose pareille ! et cette robe m’a fait rêver longtemps.

Papa me promit d’ailleurs de m’en acheter une identique à notre retour en Europe, ce qui fut fait pour notre communion privée.

Mais la petite fille ne fut pas en reste avec son élégante robe blanche !

Nous l’avons entraînée dans nos jeux puis brusquement nous l’avons poussée sous la douche et shloufffff... un gros sac d’eau lui est tombé sur la tête.

La gamine, trempée de la tête aux pieds s’est mise à hurler comme une damnée, au grand désespoir de sa mère qui, en voyant l’état de la belle robe en organdi a manqué de peu une attaque !

Nos parents ne nous ont même pas grondées... ils devaient considérer que cela faisait partie des tourments obligatoires que les enfants s’infligent.

Jeanine souligne gaiement que sa soeur était une petite intrépide... et elle juge leur duo de la manière suivante.

-          En fait nous sommes jumelles mais nous disons toujours que nous sommes “garçon et  fille” car Yvonne n’a jamais eu peur de rien. C’est la meneuse... et moi je la suivais bien allégrement, comme si elle avait été un grand frère, sans jamais me poser la question de savoir si elle m’entraînait sur le bon chemin ou pas !

La vie en Afrique pour les coloniaux, en tous cas à cette époque, était organisée en fonction des loisirs dont on pouvait profiter et ils n’étaient pas très variés. Les expatriés, militaires ou civils avaient l’habitude de se recevoir pour les soirées, n’oublions d’ailleurs pas qu’au niveau de l’équateur ce n’est pas comme en France puisque le rythme de vie est réglé par rapport à la lumière solaire et que les journées ont le même nombre d’heures que les nuits, c’est à dire douze. Le soleil se lève à 6 h précises et se couche de manière aussi précise à 18 h 00 et ce tous les jours de l’année calendaire.

Les soirées, bien longues, étaient donc occupées, à bavarder, à dîner et à jouer aux cartes, notamment au bridge, à la lumière des lampes “tempête” puisque bien sûr il n’y avait pas d’électricité à cette époque dans cette partie du monde.

Yvonne explique comment se déroulaient les soirées:

-          Nos parents, s’ils étaient invités, ne nous laissaient jamais seules à la maison, malgré le personnel dont nous disposions. Ils nous emmenaient avec eux, nous installaient chacune dans un fauteuil chez leurs amis et nous donnaient un gros cornichon qui nous servait de sucette.

          Je me souviens parfaitement de ces cornichons et je pensais que c’était la

          chose la plus naturelle au monde que de donner à des fillettes des

          cornichons pour les occuper, souligne Yvonne !

          Les cornichons faisaient partie des aliments que nous recevions de

          France, alors imaginez comment ils avaient du être cueillis pour arriver à

          supporter presque deux mois de voyage !

          Le beurre aussi arrivait de France, en boîte mais évidemment il devenait

          huile en raison de la chaleur ambiante. Nous avons ainsi connu le “beurre

          liquide” jusqu’à notre retour en Europe.

Yvonne continue son récit:

-          Dans la journée notre maman n’avait pas grande occupation non plus. De temps en temps elle allait faire une promenade en chameau très tôt le matin avant les grosses chaleurs. Mais il faut bien reconnaître que nous l’avons peu vue. On nous disait sans cesse qu’elle se reposait, qu’il ne fallait pas la déranger et bien sûr il n’était pas question de passer outre ou de faire du bruit.

          Nous nous étions organisées notre petite vie toutes les deux et il faut bien           admettre que nous étions auto-suffisantes, affectivement parlant, par le simple fait d’être jumelles.

          La gémellité est vraiment  une expérience merveilleuse 

Nos jouets nous occupaient beaucoup également et contrairement à ce que

les petits européens connaissaient à cette époque, les nôtres étaient           vivants. 

En effet, on nous donnait toujours des petits singes avec lesquels nous           passions de longues heures à nous promener ou à les déguiser avec des           vêtements de bébés.

Les lionceaux nous étaient familiers également mais notre père nous avait          fait promettre de le tenir au courant dès qu’ils commençaient à nous lécher car il fallait absolument éviter les morsures. Venait alors le moment de  s’en séparer.

Jeanine se rappelle des départs à l’école:

-          Nous partions le matin de bonne heure à l’école avec notre chien sur le dos duquel était assis notre petit singe. Les deux ardoises étaient attachées sur le dos du chien et tout ce petit monde nous accompagnait pour aller en cours, avec un naturel qui aurait laissé coit bien des européens !

Yvonne se rappelle d’un singe qu’on leur a enlevé car il avait une fâcheuse tendance à faire des bêtises en imitant les hommes.

-          En voyant le boy jeter de l’eau par terre avant de balayer la maison, le petit singe se décida à faire la même chose. Il entra au salon, ouvrit les portes du placard dans lequel étaient rangées les boissons alcoolisées de nos parents et vida sur le sol toutes les bouteilles, bien consciencieusement, l’une après l’autre en imitant le boy. Inutile de dire qu’il a disparu radicalement et que personne ne nous a jamais dit ce qu’il était devenu ! Ce fut pourtant un de nos singes préférés !

Jeanine rapporte:

-  Papa accompagnait les caravanes qui partaient dans les mines de sel de Taoudenni et à son retour il nous ramenait des jouets en sel, comme des petits chameaux sculptés, de petits objets qui nous plaisaient beaucoup. Evidemment, nous n’avions pas de poupées et elles ne nous manquaient pas. Il y avait dans ce pays des choses bien plus amusantes à voir...

- Ah oui, rétorque Yvonne !

Nous allions beaucoup au village, comme nous venons de le dire et un jour nous avons assisté à une circoncision de groupe.

Les petits garçons, dont certains étaient à l’école avec nous, avaient été alignés et l’un aprés l’autre ils passaient devant le marabout. Ils posaient leur petit sexe sur un grand tronc d’arbre installé pour l’occasion et d’un coup sec on leur coupait  “la peau du zizi” à la machette. 

Une fois l’opération faite, on leur faisait mettre le sexe dans un bac de sable très chaud, au dessus d’un feu de bois, pour sans doute permettre une meilleure cicatrisation.

C’étaient les méthodes de l’époque et une fois la circoncision terminée les petits garçons partaient en courant et en hurlant comme des poules à qui on vient de couper la tête !

Ma soeur et moi nous trouvions cela très rigolo...

Ce l’était sûrement beaucoup moins pour les garçonnets.

Nos parents, quant à eux ne se mélangeaient pas du tout à la population africaine. Ils fréquentaient d’autres militaires français et des expatriés, mais pas les maliens. A l’époque les castes ne se mélangeaient pas.

Le séjour de la famille Fortier à Tombouctou se déroula ainsi dans la tranquillité de la vie africaine.

Après l’école et la sieste obligatoire aux heures les plus chaudes de la journée, les fillettes allaient courir au village pour rendre visite aux  femmes africaines dans leurs cases et elles les regardaient piler le mil ou préparer les aliments pour leurs familles.

Yvonne et Jeanine qui n’ont que de bons souvenirs de cette période de leur vie disent se surprendre quelques fois à effectuer des gestes dont elles ont été impregnées dans la petite enfance.

Yvonne décrit le mouvement circulaire qu’elle fait avec sa main lorsqu’elle prépare des aliments qui ont besoin d’être mélangés...

Elle le fait comme une femme africaine qui viderait un plat, tournerait une semoule de couscous ou récupèrerait de la nourriture au fond d’un récipient, avec cette habileté toute particulière qui n’a rien à voir avec le geste effectué avec une cuillère.

Yvonne continue sur les souvenirs:

-          Il y avait aussi une chose qui nous intriguait beaucoup c’était que les pieds de meubles et de table étaient plongés dans des boites de conserves dans lesquelles les boys mettaient du grésil. Evidemment, c’était tout à fait anodin et ça servait à empêcher les termites de se mettre dans le bois du mobilier, mais qu’est ce que ça a pu nous intriguer toutes les deux !

Jeanine se souvient aussi des dîners de bienvenue qui étaient préparés en l’honneur des jeunes officiers français qui arrivaient dans le pays.

-          Nos parents organisaient un dîner et il était de bon ton de faire rôtir un petit singe après lui avoir coupé la queue pour faire croire au jeune militaire qu’il s’agissait d’un enfant !!!

C’était sûrement l’humour colonial de l’époque et, nous qui n’étions pas invitées à la table des adultes, nous pouvions cependant traîner dans les cuisines pour voir ce que les boys y préparaient.

Nous non plus ne savions pas qu’il s’agissait de petits singes et cette coutume ne laissait pas de nous surprendre à chaque nouvel arrivant ! 

Ce sont en tous cas des souvenirs qui nous sont restés, bien clairement et ils ont aussi du rester gravés dans la mémoire des hôtes de nos parents car ce sont les nouveaux arrivants qui étaient chargés de découper le petit singe rôti, comme s’ils allaient le manger ! ce qui n’était pas le cas, heureusement.

-          Et tu te souviens aussi, lorsque les boys préparaient des poulets pour les repas ? Ils allaient les chercher dans le poulailler, car nous avions quelques animaux pour assurer la subsistance de la maison: poules, poulets, chèvres, lapins, gazelles et même un mulet.

Donc, le cuisinier allait chercher le repas du soir dans le poulailler et nous étions toujours derrière à aller fouiner pour voir ce qui se passait... des fois que quelque chose nous aurait échappé, dit Yvonne en riant !

Le garçon revenait donc près des cuisines avec le pauvre volatile et clac...un coup de machette et la bestiole était décapitée !

Il le lâchait pour faire la même chose avec le suivant et le poulet partait en courant, sans tête puis, d’un seul coup, s’effondrait...bien sûr.

Nous étions fascinées par ce spectacle qui nous intriguait et auquel nous ne comprenions rien: un poulet qui cavalait sans tête !

Un grand mystère pour de si petites filles...

La période de vie à Tombouctou de 1933 à  1935 est donc restée intimement marquée dans la mémoire des jumelles Fortier et elles sont surtout imprégnées de cette sensation de liberté absolue qu’elles ont eu la chance de vivre dans cette belle Afrique, encore authentique, à mille lieux des tourments qu’elle a connus quelques décennies plus tard.

Elles avaient aussi l’habitude de voir les africains s’amuser en organisant des combats de scorpions.

Jeanine et Yvonne copiaient tout ce qu’elles voyaient.

Elles creusaient donc le sable pour en faire un lieu de combat, récupéraient des petits scorpions ou d’autres insectes et les mettaient au centre de leur petite piste.

Elles s’allongeaient à plat ventre et regardaient la bataille avec le plus grand intérêt comme elles le voyaient faire aux adultes.

Rien ne les étonnait et surtout rien ne les effrayait !

Ainsi se sont écoulées les deux années de vie à Tombouctou.

D’une occupation à une autre, les petites ne s’ennuyaient jamais et leur vie était plus riche que celle de tous les petits français couverts de jouets...

Mais un jour, hélas, vint le moment du retour vers

la France.

Le voyage se déroula comme à l’aller: voiture, pirogue, paquebot et cette fois escale à Dakar.

Un vrai périple...

-          Nous avions grandi, évidemment depuis le jour de notre arrivée à Tombouctou, raconte Yvonne et certaines choses nous ont marquées. Je vous en raconte une:

notre maman qui était très malade souffrait énormément et la seule chose qui la soulageait un peu était le champagne.

Mon père en faisait donc venir de France régulièrement et sur la pirogue, comme à l’époque il n’y avait pas de glace, on la pendait dans une serviette mouillée.

Un des laptos a malencontreusement fait tomber la bouteille de champagne dans le fleuve et mon père exigea de lui qu’il plonge pour aller la chercher, au mépris absolu de la quantité de crocodiles qu’il y avait dans l’eau.

Ils flottaient à la surface, impassibles comme des billes de bois, dans l’attente de la proie qui se laisserait prendre au piège de leurs mâchoires d’acier.

Le pauvre garçon plongea, ramena la serviette mais ne put pas récupérer la bouteille de champagne car le fleuve était trop profond.

Le garçon a été réprimandé mais heureusement il ne s’est pas fait dévorer par les crocodiles !

Jeanine et moi, ce jour-là, avons pris conscience de l’extrême autorité des blancs sur les africains et surtout de ce respect qu’imposait notre père à ce personnel à son service.

Cette scène m’a marquée, je pourrais même dire qu’elle m’a choquée et je n’ai jamais oublié les détails de ce moment si particulier.

La descente du Niger en pirogue dura à nouveau vingt et un jours durant lesquels la vie à bord s’organisa comme à notre arrivée. Une fois à Bamako, on nous transporta à Dakar en véhicule militaire. Voilà donc que nous découvrions une vraie ville, avec des voitures, de l’époque bien sûr mais avec une vie dont nous avions perdu l’habitude là bas dans notre “brousse” soudanaise.

-          La première chose que fit notre maman, dit Jeanine,  fut de nous obliger à mettre des chaussures !

Evidemment il s’agissait de petites sandalettes en toile avec un bouton sur le côté, de petites choses légères et souples, mais comme ça nous a pesé ! Un véritable carcan...

Yvonne reprend:

-  A Dakar, comme il fallait bien nous occuper, on nous emmena visiter un zoo !

Nous qui venions de passer les deux années antérieures à jouer avec des singes, des lionceaux, des léopards et qui avions vu tout ce qui pouvait se voir en matière d’animaux sauvages en liberté, on nous emmenait voir les mêmes, mais derrière des grilles !

Inutile de vous dire que nous n’étions pas le meilleur public... bien trop au courant de la vie des bêtes sauvages, les petites jumelles  !

Et ce fut même un choc... je me demandais bien pourquoi on les avait mises en prison ces pauvres bêtes au lieu de les laisser courir dans la savane.

Il n’était pas non plus question de demander le pourquoi du comment aux parents, bien sûr et donc ce souvenir nous est resté longtemps comme une espèce de mystère sans réponse.

Jeanine poursuit:

-          Une fois repartis sur le paquebot, nous avons fait escale aux Canaries où nos parents nous ont acheté deux petits chiens à des vendeurs ambulants en barque.

Les petits chiens étaient des “Téneriffe” et on nous offra donc un mâle et une femelle.

Arrivés à Marseille maman décida de les laver dans le lavabo de la chambre d’hôtel. La petite chienne qui devait être fragile mourut presque immédiatement mais le mâle nous a suivi pendant de longues années.

Yvonne reprend:

-         Nous étions donc de retour en France et la première chose que nos parents ont voulu faire était d’aller à l’opéra.  Nous avons donc assisté à la représentation de la célèbre opérette “L’Auberge du Cheval Blanc”  dont le livret a été écrit par Erik Charell, Hans Müller et Robert Gilbert sur une musique de Ralph Benatzky. ...

Il faut tout de même noter que tout au long de notre traversée en pirogue nous avions eu droit à des musiques d’opéra jouées sur le gramophone que notre père avait acheté.

Il s’était doté de toute la collection de 78 tours du ténor de l’époque André Beaugé.

Je peux dire que soixante dix ans plus tard, dès que j’entends un morceau d’opéra et où que je me trouve, je me transporte en un clin d’oeil sur le fleuve Niger, à bord de la pirogue !


13 janvier 2007

1935 – Retour en France – Installation à Perpignan

-         

A

près cette traversée et ce retour par Marseille, la famille Fortier s’installe donc cette année là à Perpignan, ville pour laquelle le Commandant Fortier reçoit sa nouvelle affectation, à la citadelle précisément.

Yvonne et Jeanine découvrent le train à cette occasion car elles n’en avaient jamais vu.

Ce fut un grand moment de découverte à nouveau, à peine les pieds sur le sol français.

-          Maman était très fatiguée et souffrait beaucoup du ventre, dit Yvonne..

Elle souhaite profiter de son retour en France pour consulter, mais sans faillir à l’installation de sa petite famille dans une maison qui a été choisie par le couple sur le boulevard Jean Bourrat.

Elle se donne beaucoup de mal pour trouver meubles et fournitures, coud elle-même tentures et rideaux pour toute la maison, aménage, organise, prépare le nouveau lieu de vie de tout son petit monde avant d’aller à l’hôpital pour faire des examens.

Le médecin décide de l’opérer mais, malheureusement (et même si on a peu de détails sur les faits il est facile d’imaginer qu’elle est à bout de forces) elle ne se réveillera pas de l’anesthésie.

Yvonne et Jeanine perdent leur maman à peine âgée de quarante trois ans.

Elles mêmes ont tout juste 10 ans.

C’est une nouvelle étape de leur enfance, c’est la première douloureuse épreuve que la vie leur inflige lorsque leur papa en rentrant de l’hôpital les fait asseoir et leur annonce en pleurant:

      -  “Vous n’avez plus de maman”

ce fut un moment terrible pour les jumelles mais Yvonne qui ne perdait jamais le bon sens déclara le soir à sa soeur:

-          Puisque c’est ça, je serai ta maman et toi tu seras ma maman !” logique implacable qui répond sans doute aux lois de la gémellité.

Et comme le note très à propos Jeanine “ça n’a guère changé...”

Le Commandant Fortier quant à lui organise la vie de la famille en embauchant une gouvernante qui est chargée de veiller à l’éducation des petites, lesquelles découvrent avec un peu de mal ce que veut dire le terme de “discipline” car Madame David est une personne stricte et convaincue !

Jeanine et Yvonne apprennent ainsi qu’il faut s’habiller correctement, se chausser, se tenir, ne pas s’échapper à tout moment et c’est un véritable challenge que de leur inculquer les règles de base de la vie européenne !

Lourde tâche pour la gouvernante qui, en plus, a des exigences radicales.

Jeanine se souvient:

-          Madame David avait à sa disposition, sur la terrasse de la maison, un grand lavoir et quand elle allait laver le linge elle nous faisait asseoir chacune d’un côté pour nous faire réciter nos tables de multiplication.

Si on faisait une seule erreur, elle nous faisait tout recommencer...

Ohhh, elle n’était pas commode Madame David.

D’ailleurs lorsque nous nous en sommes plaintes à Papa il en a cherché une autre, heureusement.

Une fois le premier chagrin du deuil apaisé, le Commandant Fortier aimerait bien repartir en mission coloniale mais il ne peut pas le faire en emmenant les fillettes sans qu’elles aient une maman.

Le Général en poste lui recommande donc une personne de bonne famille qui ferait une bonne épouse et qui présente toutes les garanties morales indispensables à la femme d’un militaire déjà papa de deux petites filles à éduquer.

Jeanine commente:

-          C’est qu’à cette époque l’armée faisait de véritables enquêtes sur les familles censées s’allier avec un militaire.

          Par la famille de celle qui allait devenir notre “deuxième maman”,  nous

          avons appris plus tard qu’elle avait été l’objet d’une investigation

          extrêmement approfondie et rigoureuse et il n’aurait pas été possible pour

          notre père de contracter une union avec une personne qui ne présentât pas

          toutes les garanties.

Le Général met donc en relations le Commandant Fortier, sa promise et la famille de celle-ci et ce sont les jumelles qui devront décider du devenir de la vie familiale.

En effet, et c’est dans des actes comme celui-ci qu’on prend la mesure de toute la noblesse d’âme du Commandant Fortier et surtout de l’amour qu’il porte à ses filles, il leur laisse prendre la décision “d’adopter ou non” celle qui deviendrait son épouse.

Yvonne et Jeanine doivent donc être présentées à Mademoiselle Constance !

Yvonne raconte:

-          Notre gouvernante nous préparait donc chaque jeudi à aller en promenade avec Mademoiselle Constance qui, elle, était chargée de nous emmener à la pépinière, parc de Perpignan qui a aujourd’hui disparu.

Jeanine complète:

-          Et puis un jour Papa a demandé à la gouvernante de “bien nous habiller”              car il devait nous emmener dans une famille.

     Nous fumes donc présentées avec tout le cérémonial adéquate à “Bon   

     papa  et Bonne maman” qui n’étaient autres que les parents de   

     Mademoiselle Constance.

     Notre père nous avait expliqué que nous devrions décider nous-mêmes 

     si nous acceptions qu’il épouse Mademoiselle Constance pour qu’elle

     devienne notre “nouvelle maman” et c’était à nous de lui poser la 

     question ce jour- là.

     Nous voici donc arrivées chez les futurs grands-parents qui nous 

     reçoivent à déjeuner chez le grand oncle, lequel habitait une petite   

     ferme au Haut Vernet. Le déjeuner se déroule avec toute la solennité due a 

     la circonstance et je ne cessais de penser à la mission que nous avait confiée

     notre père:

    C’est à vous de demander à Mademoiselle Constance si elle veut bien

     devenir votre nouvelle maman”

     Le repas n’en finissait pas et nous étions taraudées par notre obligation et 

     puis, surtout,  j’avais très envie de filer visiter le poulailler qui se    

     trouvait au fond du jardin !

     C’était autrement plus rigolo que les histoires de grands...

     Après ce déjeuner interminable pour des gamines de notre âge, on nous   

     autorisa finalement à sortir de table et il ne fallut pas nous le dire deux   

     fois.

     Toutes absorbées que nous étions de la découverte des volailles de la

     ferme, voici Mademoiselle Constance qui nous rejoint et là... panique !

       

    Je disais à Yvonne “c’est toi qui lui dis”

   - non, c’est toi, répondait elle

   - non, toi...

    et finalement, Yvonne qui était la plus courageuse lui posa la question

    tellememt embarassante:

   “Mademoiselle Constance, est ce que vous voulez bien devenir notre   

        maman ? ”

  Mademoiselle Constance, toute à son émotion, fond en larmes... et nous   

  bouleverse: est ce que par hasard elle ne voudrait pas de nous ?

  Mais tout est bien qui finit bien: papa et Mademoiselle Constance   

  contractent mariage et notre père peut à nouveau faire des projets de départ

  vers les colonies françaises.

-         En ce qui nous concerne, et malgré tout le bonheur que nous apporta   

Mademoiselle Constance au long de notre vie, nous n’étions pas au bout de

nos surprises et des cérémonies qui nous attendaient ! commente Yvonne.


13 janvier 2007

BAPTEME, COMMUNION, CONFIRMATION...

Le Commandant Fortier envoie Yvonne et Jeanine quelques jours en vacances en Normandie dans la famille de son frère.

Leur cousine germaine, Andrée, vient les chercher par le train et les fillettes partent donc à la découverte d’un nouvel univers pendant que leur père se marie avec Mademoiselle Constance, le 2 juillet 1936.

A leur retour Mademoiselle Constance est installée à la maison avec leur père et elle devient tout naturellement “Mamie” pour Yvonne et Jeanine.

Mamie prend immédiatement en charge l’éducation religieuse des petites qui n’en avait jamais eu la moindre notion... une vraie croisade !

Dès leur retour de Normandie, les jumelles sont sans perdre de temps “immergées” dans les cours de catéchisme si chers à Mademoiselle Constance.

Toute à son enthousiasme elle en profite pour faire baptiser le boy qui était à leur service et change son prénom pour l’occidentaliser !!!

C’était un africain répondant au nom de Youssoufou qui devint, par le plus grand des hasards de sa vie d’ordonnance, à la fois catholique et Emmanuel le même jour !!!

Personne ne résistait à la ferveur de Mademoiselle Constance...

N’oublions pas que dans sa famille, sur sept enfants quatre étaient religieux !

Et voilà qu’on lui confiait l’éducation de deux fillettes qui n’étaient même pas baptisées...

Le Commandant Fortier qui respectait les opinions et la foi de sa nouvelle compagne ne s’opposa pas à cette instruction et il lui laissa tout le soin d’organiser les cérémonies religieuses incontournables pour des gens de bien.

Yvonne et Jeanine furent donc baptisées (en même temps que le brave Youssoufou-Emmanuel) puis firent leur  communion  privée suivie de la confirmation avant de passer à la communion solennelle qui, elle, se déroula le 23 mai 1937 à Perpignan, en l’église Saint Jacques.

Ouf.... les petites mécréantes l’avaient échappé belle !

Quoi qu’il en soit, et aussi fervente que soit la famille, le repas de communion ne se ratait pas et le menu de choix nous indique que chez les Fortier on savait  vivre !

Menu

Première communion

Mlles Jeanine et Yvonne Fortier

-------------------------

Hors d’oeuvre choisis

Langouste mayonnaise

Filet de veau aux champignons

Haricots verts beurre

Poulet rôti

Salade

Fromage

-------

Pièces montées

Bombes glacées

Fruits Desserts

Café

-------

Vins du pays

Bourgogne 1929

Moët et Chandon

                                                        23 mai 1937


Après cela, Mamie qui avait l’esprit tranquille pouvait envisager de partir en voyage de noces avec son époux et, bien entendu, les deux petites.

Le voyage de noces fut l’objet d’un tour de France, qui donna l’occasion à Yvonne et à Jeanine de connaître les différents membres de leurs familles bilatérales et surtout de découvrir les trésors de

la France

de l’époque.

C’est ainsi qu’elles purent visiter le paquebot le “Normandy” lors d’une de ses escales au Havre.

-          Ca nous changeait de la pirogue... souligne Jeanine en riant

La famille Fortier visita également l’exposition universelle de 1937 à Paris et par la même occasion les filles purent découvrir

la Tour Eiffel

et de nombreux autres sites emblématiques de la capitale.

Le Commandant Fortier alla rendre visite à sa belle-mère du côté de feu leur maman et sans que les filles aient été mises au courant, la conversation tourna court après une violente dispute entre la grand-mère et son gendre.

Yvonne et Jeanine n’ont jamais su ce qui s’était passé mais en tous cas elles n’ont plus jamais eu le moindre contact avec la famille de leur maman.

Au retour de ce fabuleux “tour de France” qui eut donc lieu pendant l’été 1937, les fillettes reprirent les cours comme tous les petits enfants français.

Evidemment, ce n’était plus l’école du père missionnaire !

Yvonne et Jeanine qui parlaient arabe avaient trouvé une formule très commode lorsqu’elles ne trouvaient pas le vocabulaire français souhaité pour faire leurs rédactions: elles écrivaient en phonétique les mots arabes qui correspondaient ! Simple... non ?

Mais qui n’était pas forcément du goût de l’institutrice, la sinistre Madame Estibot,  qui écrivait en rouge sur les copies:  “petit nègre... je ne comprends pas” !

Yvonne se souvient un jour d’avoir mélangé les mots...

Evidemment la phonétique était toujours omni-présente pour ces deux enfants, même en CM1.

Lors d’une dictée dans laquelle on parlait d’un cerf-volant, Yvonne ecrivit.... “cerveau lent” ! Inutile d’en rajouter sur la réaction de la maîtresse qui, d’après les  jumelles, écumait de rage ! Elle avait écrit en marge du devoir et en rouge: “je m’en aperçois”

Ces deux gamines avaient vraiment une facilité pour s’arranger la vie...!

La vie, par contre, se déroulait très paisiblement avec Mademoiselle Constance qui était très douce et très affectueuse avec les fillettes.

Elle les emmenait le jeudi chez sa soeur qui avait un magasin de jouets, sous la barre à Perpignan.

Le magasin, veritable paradis pour des petites filles avait pour enseigne “ la poupée friande” et les poupées y portaient de belles robes en organdi comme la petite française de Tombouctou... pour le plus grand bonheur d’Yvonne et de Jeanine.

13 janvier 2007

1937... Nouveaux projets de voyages

Une fois le mariage consommé, l’intégration de la nouvelle maman réussie, le Commandant Fortier peut donc songer à repartir aux colonies.

Yvonne et Jeanine sont heureuses de s’imaginer leurs nouvelles aventures, bien sûr, et vont bien profiter de leur habituelle liberté pour vivre de grands moments aux quatre coins du superbe bateau qu’elles découvriront.

Elles auront bientôt douze ans et à cet âge les déplacements, les changements de vie, les voyages prennent tout leur sens.

Leur père et “Mademoiselle Constance” les laissent profiter amplement de l’insouciance de leur jeunesse et elles en gardent toujours le même souvenir ému et reconnaissant.

-          “On a vraiment eu de la chance d’avoir des parents aussi tolérants, souligne Yvonne

-          “Ah ça oui ! renchérit Jeanine ! c’est qu’à l’époque les enfants ne faisaient pas ce qu’ils voulaient comme c’est le cas aujourd’hui.”

Leur nouvelle maman, comme elles la nomment, est chargée de leur éducation mais aucune décision importante n’échappe à la consultation et à l’autorisation du papa.

Mademoiselle Constance gardera son caractère doux et attachant et comblera tout au long de sa vie le vide affectif qui s’était fait jour au moment du décès de la maman des fillettes.

Yvonne et Jeanine se souviennent avec affection de la question qu’elle leur posait chaque fois qu’une petite bêtise se faisait jour ou que les filles demandaient quelque chose:

-          Que ferait votre maman à ma place ?

-          Elle serait très gentille... répondaient en choeur les deux chipies !..

13 janvier 2007

QUELQUES INFORMATIONS SUR MADAGASCAR

Survol de l’histoire de la colonie française

La loi du 6 août 1896 stipule : "Est déclarée colonie française l'île de Madagascar avec les îles qui en dépendent".

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La République

de Madagascar est un État insulaire de 587 040 km2 bénéficiant de

4828 km

de littoral, situé dans la partie occidentale de l'océan Indien, au large de l'Afrique de l'est dont il est séparé par le canal du Mozambique.

Sa capitale est Antananarivo (anciennement Tananarive).

La population malgache est estimée à 18 000 000 de personnes (en 2005)  principalement d'origine Afro-asiatique.

La langue malgache qu’on parle dans l’île est d’origine Indonésienne.

Elle est apparentée au ma'anyan et à d'autres langues parlées dans l'arrière-pays du sud-est de Kalimantan.

Durant la majeure partie du XIXe siècle, l'île fut administrée par le Royaume de Madagascar jusqu’en 1895 période de l'invasion coloniale française.

Cette année là en effet,

la France

décide de lancer un corps expéditionnaire jusqu'à Tananarive. Cette campagne débouche sur le traité du 1er octobre 1895 qui confirme le "protectorat" de

la France.

La monarchie n'est pas encore supprimée, mais le traité lui enlève tout pouvoir au profit du Résident Général.

La loi du 6 août 1896 stipule : "Est déclarée colonie française l'île de Madagascar avec les îles qui en dépendent".

La royauté est abolie le 28 février 1897.

La Reine Ranavalona

III est déposée puis exilée à Alger.

Les débuts de la colonisation française sont marqués par un homme qui a jeté les bases d'une politique vigoureuse dont les fins sont principalement économiques. Il s'appelait Gallieni et venait d’être nommé Gouverneur Général de Madagascar.

Il exerça tous les pouvoirs entre septembre 1896 et mai 1905 et est à l’origine de la pacification de l'île entière.

La résistance nationaliste

Face à l'autorité coloniale, une résistance locale se développe.

Dès 1895, les "Menalamba" groupe d'insurgés nationalistes et traditionalistes mènent  des actions contre les Français, jusqu'en 1898.

La naturalisation française est une des revendications premières des Malgaches.

L'intransigeance du pouvoir colonial radicalise le mouvement vers des volontés d'indépendance.

L'insurrection de 1947, sévèrement réprimée, marque une étape décisive dans la lutte pour l'indépendance.

En septembre 1958, les Malgaches votent en faveur de la communauté proposée par le Général De Gaulle.

Le 26 juin

1960, l

'indépendance du pays est proclamée.

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